Les origines du nouveau musée
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Mouilleron, le village natal, entre plaine et bocage, dans un pays de marches et de conflits
Mouilleron-en-Pareds est un village vendéen aux frontières de la plaine et du bocage. Catholiques et protestants, Vendée blanche royaliste et Vendée bleue républicaine y ont vécu et combattu.
Georges Clemenceau et Jean de Lattre de Tassigny sont les fils de ces deux traditions.
Ils sont entrés tous les deux dans l’histoire politique et militaire mouvementée du monde et de la France du xxe siècle. À quarante-huit ans de distance, dans ce même village, sont nés deux hommes dont le rôle a été déterminant lors des deux guerres mondiales.
Georges Clemenceau est né le 28 septembre 1841 dans la maison de son grand-père maternel, François Gautreau, maire républicain et protestant, où vivaient ses parents.
Jean de Lattre de Tassigny est né le 2 février 1889 dans la maison de ses grands-parents maternels, Zélina et Jules Hénault, maire, royaliste et catholique, où vivaient ses parents.
En 1832, par réaction contre les légitimistes, quand le gouvernement de Louis-Philippe nomme François Gautreau
maire pour remplacer Jules Hénault, c’est le branle-bas de combat au village… L’évêque et le préfet interviennent pour calmerles esprits des « bleus » et des « blancs » mouilleronnais.
En 1906, Hénault interdit l’accès de la mairie à Georges Clemenceau, au lendemain de son discours de La Roche-sur-Yon alors qu’il vient d’être nommé ministre de l’Intérieur.
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Mouilleron, le village de la réconciliation des deux « familles », des « deux Vendée »
Le 5 avril 1918, le maire, Roger de Lattre (père de Jean), et le conseil municipal écrivent à Clemenceau pour le soutenir et le « revendiquer hautement comme l’un des leurs ».
Le 14 avril, la réponse est là : « C’est un encouragement, mes amis, un vrai, un chaud, qui me revient des rochers de mon enfance... La belle victoire qui va venir, nous l’aurons faite ensemble... »
Novembre 1918 : la municipalité demande au préfet de renommer la rue de La Chapelle en rue Clemenceau et de poser une plaque sur sa maison natale. Le 9 octobre 1921, Clemenceau accepte de présider l’inauguration du monument aux morts. Le jeune capitaine de Lattre, cinq fois blessé, huit fois cité, participe à la cérémonie à la demande de ce dernier, qui reprend le message d’unité : « Il n’y a rien de supérieur au sentiment de fraternité
nationale. »
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Le musée des Deux Victoires, musée de la réconciliation
En cliquant ici, visitez le musée des Deux Victoires tel qu'il était avant sa fermeture.
Visite filmée avec discours
Le musée des Deux Victoires Clemenceau-de Lattre est né d’un héritage. Le 11 janvier 1952, Simonne de Lattre de Tassigny, veuve à 46 ans, est désormais la maréchale de Lattre, avec ce que ce titre comporte de devoirs et d'obligations. Elle hérite d'archives et de souvenirs d'une grande valeur historique. « Or je n'étais en réalité que dépositaire », écrit-elle.
Après avoir réfléchi à des légataires possibles, comme l’association Rhin et Danube ou le musée de l’Armée des Invalides, son élection à la mairie de Mouilleron-en-Pareds lui permet de préciser et de dimensionner un projet de musée dans le village natal de son mari et plus précisément à l’étage de la mairie.
Cette idée de réaliser une Salle du Souvenir sera soutenue particulièrement par le Conseil général de Vendée, le préfet de Vendée, André Chamson de l’Académie française et André Malraux, le tout nouveau ministre des Affaires culturelles depuis le 3 février 1959.
André Malraux souscrit à sa demande.
« Je fus accueillie le 3 avril 1959 par le ministre dans des conditions que je n’osais espérer. Il parcourut la note que je lui avais remise. “Le souvenir d’un homme tel que votre mari doit être maintenu […] je vous aiderai […] À une échelle moindre, l’hommage d’un village envers un de ses enfants peut avoir autant de sens que celui rendu à ses libérateurs par la nation tout entière.” Après avoir réfléchi un moment, la tête entre les mains, il parla à nouveau, comme inspiré : “le général de Gaulle posant une pierre de ce modeste édifice en Vendée […] puis une cathédrale, bientôt, au mont Valérien […] C’est cela la mémoire des hommes […]”. Je pris congé. Il m’accompagna jusqu’à l’escalier, me faisant admirer les salons du Palais Royal et la vue sur les jardins. »
Simonne de Lattre,
Jean de Lattre, ma raison de vivre, p. 369
Absent du projet initial de Mme de Lattre qui souhaitait offrir aux publics « les souvenirs » de son mari, Georges Clemenceau, grand homme de la IIIe République et de la Première Guerre mondiale, né lui aussi à Mouilleron-en-Pareds, s’inscrit légitimement dans le projet.
« Le nom du musée avait été choisi avant même son ouverture. Puisque toutes les vitrines étaient centrées autour de la statuette ailée de Sicard, destinée à Georges Clemenceau et offerte à mon mari par le fils du sculpteur en mai 1945, les souvenirs présentés au public seraient réunis sous le nom de “Musée des deux victoires, Clemenceau - de Lattre”»
Simonne de Lattre,
op. cit., p. 374
Installé par Jean Coural, alors conservateur au château de Versailles, et le décorateur Serge Royaux, le musée occupe le premier étage de la mairie de Mouilleron, mis à disposition par la municipalité.
Dans un esprit de mise en parallèle des artisans de l’« union sacrée » et de l’« amalgame », le musée rend hommage aux signataires du traité de paix (Clemenceau à Versailles, le 28 juin 1919) et de la capitulation (de Lattre à Berlin, le 8 mai 1945).
Le musée des Deux Victoires Clemenceau-de Lattre est inauguré « sous le haut patronage de Monsieur le Général de Gaulle, et la Présidence de Monsieur André Malraux, Ministre d’État »,dimanche 19 novembre 1959 à 15 heures.
André Chamson de l’Académie française prononce le discours d’inauguration.
Le musée municipal devient musée national le 18 avril 1961 (décret n° 61-429).
En 1975, la maison natale du maréchal de Lattre et les jardins sont rattachés au musée et ouverts au public.
En 2018, la maison natale de Georges Clemenceau est inaugurée par Emmanuel Macron le 13 juin et ouverte au public le 15.
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Au-delà des collections
Depuis la création du premier musée, au-delà des collections, à travers ces deux figures, Mouilleron-en-Pareds est devenu un lieu symbolique de cette union nationale qui sait réunir des hommes de traditions et de convictions différentes, dans les heures graves de notre histoire.
« Je voudrais tenter de pousser plus loin que l’histoire de ces deux grandes existences et chercher à comprendre la signification profonde qu’elles peuvent avoir. [...]
Si ces deux hommes ont eu une volonté aussi ferme, une vision aussi exacte et aussi précise de ce qu’ils voulaient faire au moment où ils l’ont fait, c’est de toute évidence à ce pays, à la longue tradition de cette terre qu’ils le doivent, car ce pays leur a enseigné “par les contrastes mêmes de son histoire” que ce l’homme peut faire de meilleur c’est d’unifier, de fédérer non seulement ceux qui pensent la même chose, mais aussi ceux qui sont différents et qui même peuvent être profondément opposés [...]
C’est dans les contrastes mêmes de l’histoire, dans les souvenirs de cette province aux traditions différentes et qui furent si souvent ennemies, que Clemenceau et de Lattre ont dû puiser cette volonté qui a dominé leur vie. Ils ont compris tous les deux que le plus haut devoir était de fédérer et d’unir, d’accorder les coeurs et les esprits. C’est ce que Georges Clemenceau a fait en invoquant “l’union sacré” ; c’est ce qu’a fait le Maréchal de Lattre en réalisant “l’amalgame” grâce auquel, avec les forces venues d’Afrique et celles venues des maquis, il a forgé une seule armée française»
André Chamson de l’Académie française,
discours prononcé lors de l’inauguration du musée des Deux Victoires
le 29 novembre 1959 à Mouilleron-en-Pareds
«À Georges Clemenceau et Jean de Lattre de Tassigny, je dédie cette journée du 11 novembre 1987, en votre nom, mesdames et messieurs, Françaises et Français et je vous invite à méditer cette belle histoire, cette grande histoire, tout entière rassemblée dans ces quelques arpents, parmi ces quelques murs, ces maisons de village qui nous entourent et qui disent, mieux que n’importe quel monument de grand prestige, ce que fut l’oeuvre, le travail du peuple de France, quand il est représenté par les meilleurs des siens. »
François Mitterrand,
Président de la République française,
le 11 novembre 1987 à Mouilleron-en-Pareds
« La mémoire, conserver et transmettre, ce fut là certainement l’un des soucis les plus importants qui, pendant de longues années, préoccupèrent la Maréchale.
D’abord conserver les souvenirs et les témoignages de la geste de son mari et de ses hommes, et ce fut peu à peu la création et le développement ici même du musée national des Deux Victoires Clemenceau-de Lattre. Elle avait su dépasser les clivages séparant deux traditions pour réunir en un même lieu la mémoire de deux Mouilleronnais illustres unis dans un même patriotisme aux heures les plus tragiques de notre histoire. [...] la rédaction de ses souvenirs vint participer à cet effort [...] Ce furent aussi les archives du Maréchal qu’elle voulut voir classer et dont la plus grande part a été versée à l’Institut de France. Ce fut enfin, avec l’aide du département de la Vendée, la création de l’Institut vendéen Clemenceau-de Lattre, initiatives multiples et complémentaires qui dissipèrent ses inquiétudes. »
Jacques Perot,
directeur du musée des Deux Victoires,
allocution prononcée lors des obsèques de la maréchale de Lattre,
le 11 juin 2003 à Mouilleron-en-Pareds
« [...] l'invention d›une nouvelle approche muséale, trait d›union entre les deux grands hommes, est une nouvelle manière de réinvestir cette mémoire, mémoire du département et mémoire nationale. [...]
Ces deux grands hommes qui sont, en quelque sorte, tressés l’un à l’autre, pas simplement par leur lieu de naissance
[...] sont deux hommes caractéristiques de l’esprit français, c’est-à-dire qu’ils détestaient plus que tout l’esprit de défaite. C’est ce qui les caractérise au-delà de tout. Nous connaissons les combats de Clemenceau, cette ténacité, cette capacité de l’emporter jusqu’au dernier quart d’heure
[...] ce courage qu’il avait sans doute puisé ici, dans ces terres, c’est cela qui est honoré, c’est cela aussi que de Lattre a porté quelques décennies plus tard. Ce lieu commun et partagé a beaucoup de sens [...] »
Emmanuel Macron,
Président de la République française,
lors du dévoilement de la plaque au musée Georges Clemenceau,
le 13 juin 2018 à Mouilleron-en-Pareds